Des tas de fausses infos à propos des…

Batteries de stockage

Les batteries lithium-ion sont devenues un des maillons essentiels de la transition énergétique. Elles équilibrent les réseaux électriques, dans le but d’éviter les ruptures d’approvisionnement. Elles équipent les voitures électriques. Des ménages et des entreprises y songent de plus en plus pour stocker l’électricité produite par leurs panneaux photovoltaïques. Mais leur empreinte écologique est pointée du doigt. Qu’en est-il ? Nous avons posé la question à Bernard Deboyser, ingénieur polytechnicien, expert en énergie, chargé d'enseignement à l'Université de Mons.

 

Emissions Zéro  : Les critiques concernent principalement l’emploi de « terres rares » ou de « métaux rares » comme le cobalt pour leur fabrication. On met également en cause l’empreinte écologique du lithium dont l’extraction consommerait des « quantités astronomiques » d’eau ou le fait qu’elles ne seraient pas ou peu recyclées. 

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Bernard Deboyser est le spécialiste
d’Émissions Zéro dans le domaine éolien. Nous l’avons distrait durant quelques minutes alors qu’il était sur un chantier.

Bernard Deboyser  : Le lithium est utilisé dans l’électrolyte des batteries, pas dans les électrodes. Il représente 2 % du poids d’une batterie. Comme son « cousin » le sodium (un des composants du sel de cuisine), on le trouve à raison de 18 mg/l dans l’eau de mer. Il est présent dans certaines nappes phréatiques, notamment en Alsace et en Allemagne. Il est relativement abondant sur terre. Sans tenir compte de la ressource marine, les réserves mondiales exploitables sont estimées à 80 millions de tonnes. Au rythme de la consommation actuelle, on en a pour … 900 ans ! À noter aussi que le lithium intervient dans la fabrication des verres et des céramiques, des graisses et lubrifiants, de l’acier…

Pour des raisons économiques, on l’extrait de deux types de gisements :

— les « saumures » qui se trouvent dans des nappes souterraines, sous les « salars », c’est-à-dire les déserts de sel d’Amérique du sud (Bolivie, Argentine, Chili) ;

— les roches appelées « pegmatites » qu’on trouve un peu partout, y compris en Europe (notamment au Portugal), mais l’exploitation a lieu en Australie, dans des carrières à ciel ouvert, car la concentration en lithium y est plus élevée.

Aujourd’hui, 60% du lithium consommé dans le monde est extrait des carrières en Australie. Le lithium des salars contient davantage d’impuretés, il ne convient pas pour l’électrolyte, et le raffinage est coûteux. Le lithium contenu dans la batterie d’une voiture n’est pas consommé, il permettra de parcourir des centaines de milliers kilomètres, il pourra ensuite être recyclé. Enfin, il ne provient pas des salars d’Amérique du Sud. Pour moi, le procès fait aux batteries et aux véhicules électriques à cause de l’empreinte écologique du lithium est tout-à-fait scandaleux. 

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Extraction de lithium dans un salar d’Amérique du sud, par une technique similaire à celle des marais salants. Mais ce lithium n’est pas employé dans les batteries.

EZ : Les batteries contiendraient des « terres rares », dont l’extraction, en Chine notamment, serait une source importante de pollution de l’environnement.

D.B. : Les terres rares, c’est le nom d’une famille de 17 éléments chimiques du fameux tableau de Mendeleïev que tous les lycéens ont un jour appris à connaître. En résumé, il ne s’agit pas de terres, mais de métaux, et ils ne sont pas rares! Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser penser, il sont bien plus abondants que de nombreux métaux d’usage courant : leur concentration est trois fois plus importante que celle du cuivre et deux fois plus que celle du zinc, deux métaux pourtant très utilisés dans l’industrie et présents dans de nombreux biens d’usage courant. Les terres rares sont, par exemple, 200 fois plus abondantes sur terre que l’or ou le platine. En d‘autres termes, les réserves exploitables de terres rares sont bien moins critiques que celles de nombreux autres métaux stratégiques. Au rythme de leur consommation actuelle, nous en avons pour 800 ans (contre, par exemple, 30 ans pour le cuivre). Mais je tiens à préciser que les batteries lithium ion … ne contiennent pas de terres rares ! 

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La batterie d’une Renault Zoé : comme celles des autres véhicules électriques, elle ne contient pas de terres rares.

EZ  : Mais alors, pourquoi cette rumeur continue-t-elle ?

D.B.  :  Il y a une vingtaine d’années, les premiers véhicules hybrides, notamment la Toyota Prius et la Honda, étaient équipés de batteries NiMH (Nickel Métal Hybride) dont l’électrode négative (anode) était constituée de lanthane et de nickel (LaNi5). Les accumulateurs de la première génération contenaient une dizaine de kilos de lanthane, une terre rare. Aujourd’hui, cette technologie est dépassée et remplacée par les batteries lithium-ion (Li-ion), sans terres rares et aux performances bien plus élevées.

EZ  : Certains affirment que les batteries lithium-ion contiennent du cobalt. Certes, ce n’est pas un métal rare mais il est extrait dans des mines au Congo, avec exploitation des enfants, en violation des droits des travailleurs et pollution de l’environnement.

D.B.  : Il est exact qu’environ 50 à 60 % de la production mondiale de cobalt est concentrée en République du Congo et on peut trouver des enfants dans certaines mines artisanales. C’est une situation lamentable. Selon plusieurs ONG, ces mines artisanales et illégales exploitent des enfants et violent les droits humains, elles produisent environ 10 % du cobalt en provenance du Congo, soit 5 à 6% de la production mondiale. Les autres 90% des mines congolaises sont exploitées par des grands groupes miniers qui n’emploient pas les enfants. A titre de comparaison, des usines textiles occupent des enfants, principalement en Asie et en Afrique. Pourtant, l’industrie textile ne fait pas l’objet de campagnes de dénigrement semblables à celle dont nous parlons.

La plupart des fabricants de batteries et de voitures électriques ont annoncé avoir pris des mesures pour contrôler les chaines d’approvisionnement des métaux utilisés dans leurs batteries. Le contrôle  se fait notamment via la technologie de la blockchain.

Enfin, les fabricants vont utiliser de moins en moins de cobalt : les cellules NMC 811 qui équipent les voitures électriques les plus récentes contiennent 2 à 3 fois moins de cobalt que les cellules NMC 622 ou NMC 111 des générations précédentes. Et tous les constructeurs annoncent travailler à la mise au point de batteries sans cobalt.
Un fabricant chinois vient d’annoncer la première batterie sans cobalt. Les premiers exemplaires devraient très bientôt arriver sur le marché.
En conclusion, que les batteries de stockage soient responsables du travail des enfants dans des mines insalubres, c’est une fausse rumeur, pour ne pas dire une « fake news ».

EZ : Qu’en est-il du recyclage de ces batteries ? Y a-t-il une législation européenne qui oblige les fabricants à récolter les accumulateurs électriques en fin de vie et à les recycler?

D.B. : La directive 2006/66/EC relative aux piles et accumulateurs impose aux fabricants de s’enregistrer en tant que producteur de batteries et à confier les batteries en fin de vie à un recycleur garantissant au moins 50% de recyclage.

En Europe, plusieurs usines de recyclage des batteries lithium-ion sont opérationnelles, dont l’usine du groupe Umicore à Hoboken, près d’Anvers. J’en dénombre au moins 3 autres : une en France, près de Lyon, et deux en Allemagne.

J’ai personnellement visité celle de Duesenfeld en Basse-Saxe (Allemagne), où les matières récupérées permettent de fabriquer de nouvelles batteries avec des émissions de gaz à effet de serre inférieures à celles produites avec de nouveaux matériaux. Duesenfeld a mis au point une technique de recyclage « à froid » qui réutilise 91 % des matériaux contenus dans les batteries et notamment les métaux stratégiques comme le cobalt, le nickel, le manganèse et le lithium. Les premières opérations peuvent être décentralisées à proximité des sites des fabricants de batteries. Ce qui réduit le volume des composants à traiter, les coûts des transports et l’empreinte environnementale. Alors, finalement, pensez-vous qu’elles soient vraiment si « sales », ces batteries ? 

Joseph François