Le CRM ou Capacity Remuneration Mechanism

Fin 2025, la totalité du parc nucléaire devrait être fermée, selon la loi du 28 juin 2015 modifiant ainsi la loi du 31 janvier 2003. Une transition énergétique devra fournir un approvisionnement en électricité qui soit sûr, abordable et pauvre en émissions de CO2. Voilà les raisons de la création d’un CRM. Oui mais voilà... où en est-on aujourd’hui alors qu’on a depuis peu une nouvelle Ministre de l’Energie ? L'article qui suit vous présente un historique récent de la situation ainsi qu'une analyse technique fine effectuée par deux de nos coopérateurs, membres de la CEN-EZ.

Tout d'abord, qu'est-ce que le CRM ? Le CRM consiste à rémunérer une société disposant des installations nécessaires, normalement des centrales électriques alimentées au gaz naturel, à se tenir en alerte au cas où… Le paiement se fait en fonction de la capacité des installations. Si la demande électrique est faible, on ne fait pas appel à la société en question.

Historique 

En décembre 2015, la ministre de l’Energie, Marie Christine Marghem, demande à Elia, le gestionnaire du réseau de transport électrique (GRT), de réaliser une «Etude de l'adéquation et estimation du besoin de flexibilité du système électrique belge». Celle-ci est connue en mai 2016. A la demande de la ministre, la DG Energie fait réaliser des études pour définir le meilleur mécanisme de rémunération de la capacité pour la Belgique. Ces études sont connues en mars 2018.

Le 4 avril 2019, le Parlement fédéral approuve la loi introduisant un mécanisme de rémunération de capacité de type « options de fiabilité » (“reliability options”). La loi dite CRM fixe entre autres le mécanisme, c’est-à-dire le processus à suivre annuellement, la distribution des rôles et responsabilités. Le mécanisme entrera en vigueur après approbation par la Commission européenne qui vérifie la compatibilité avec les règles sur les aides d’Etat et la concurrence.

Le 28 juin 2019, Elia publie son analyse, comme le prévoit la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du marché de l’électricité. Etude qu’on peut considérer comme maximaliste. Le 11 juillet 2019, la CREG publie son étude, nettement plus modérée. Le débat sur le CRM est relancé. La Ministre charge la DG Energie et le Bureau fédéral du Plan d’analyser les remarques de la CREG.

Le 4 octobre 2019, leur note est envoyée à la Commission européenne qui publie son avis le 30 avril 2020. Le plan de mise en œuvre final de la Belgique, adapté en réponse à cet avis, a été transféré à la Commission le 9 juillet 2020. Chaque année, il y aura publication d’un rapport de suivi. Selon la ministre, la méthode proposée par la CREG n'offre pas de garanties suffisantes. Le SPF Economie a, dès lors, élaboré une méthode en ligne avec les autres CRM européens, conforme à la loi CRM et à la législation européenne.

Le 16 juillet 2020, le Parlement fédéral a adopté la "résolution relative au mécanisme de rémunération de capacité pour l’électricité en ce qui concerne la transparence, le coût, le mode de financement, le fonctionnement du marché et de notification à la Commission européenne". Outre le mécanisme de financement, la résolution porte également sur des demandes relatives à la transparence, au coût, au fonctionnement du marché et à la notification à la Commission européenne. En outre, le ministre adresse une série de demandes à la DG Energie, à la CREG et à Elia afin de transposer les autres dispositions de la résolution.

Première enchère

La première enchère aura lieu en octobre 2021, pour l'année de livraison 2025. Un avant-projet d'arrêté royal prévoit notamment qu'Elia organise une consultation publique et formule des recommandations sur la base de cette consultation, que le régulateur élabore une proposition et, enfin, que la DG Énergie élabore un avis sur cette proposition. La Direction générale de la concurrence de la Commission européenne a informé l'État belge le 21 septembre 2020 de sa décision d'ouvrir une enquête approfondie sur le mécanisme. L'État belge a été invité à présenter ses observations dans un délai d'un mois.

Le CRM a un coût. Qui va payer ?

Selon la nouvelle ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten, le CRM est un investissement pour notre sécurité d’approvisionnement ; il va créer des emplois et de la richesse : à chaque euro investi par l’Etat, trois euros le seront par le marché. Le Parlement a décidé que le coût serait répercuté sur la facture, mais avec une baisse de la part fédérale. La facture ne doit plus être une feuille d’impôts. La première étape, c’est de la geler. Si une nouvelle ligne apparaît – le CRM en l’occurrence –, il faut retirer autre chose. La prochaine étape : la ministre a invité les ministres régionaux de l’Energie à participer à un sommet national de l’énergie, afin de voir comment collaborer pour une énergie abordable et propre.

Joseph François


Réaction de deux de nos coopérateurs et bénévoles actifs au sujet d’un article de Renouvelle concernant le CRM.

Il s’agit d’une analyse technique plus avancée, mais éclairante sur notre enjeu énergétique.

Pour éviter le financement par la Belgique de centrale au gaz fossile par le mécanisme « CRM », un article de Renouvelle traite de la potentielle prolongation des centrales nucléaires belges au-delà de 2025 selon trois scénarios, que nous commentons ici.

En prélude, nous souhaitons rappeler le risque nucléaire en Belgique, qui inquiète grandement le voisin allemand. Bien que le discours pro-nucléaire aime avancer qu’une centrale bien entretenue peut durer éternellement, cette affirmation est fausse. En effet, un élément des centrales ne peut être changé : la cuve en acier qui entoure le réacteur et doit rester hermétique. Dès la mise en fonctionnement, cet élément est soumis à un bombardement de particules à haute énergie. Les bulles créées dans l’acier induisent des micro-fissures qui fragilisent le cœur de nos réacteurs, pouvant conduire à l’accident nucléaire. Les ingénieurs qui ont conçu nos centrales connaissaient bien ce phénomène et leur ont dès le départ définit une durée de vie limitée, de 30 à 40 ans. Le tableau ci-dessous résume les durées d’activité des 7 réacteurs nucléaires encore en service en Belgique, aujourd’hui en 2020 et en 2025 lorsque l’arrêt des 7 réacteurs est envisagé. Le prolongement jusqu’en 2025 de Doel 1, Doel 2 et Tihange 1 est extrêmement dangereux.

 

D’autre part, avant de commenter les trois scénarios, il nous parait important de quantifier succinctement la situation sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) en Belgique et dans le monde. Dans le monde, tout GES confondus (CO2 mais aussi méthane, NOx…), les émissions atteignent 53,4 Gt CO2 éq en 2016, c’est-à-dire 7 t CO2 eq par habitant. En Belgique, en prenant en compte tous les GES et les importations (logique du consommateur), nous sommes entre 16 et 20 t CO2 éq par habitant [2]. Les émissions de CO2 aujourd’hui induite par la production d’électricité en Wallonie correspondent à 0,8 t CO2 eq par habitant [2] (voir graphique p4 de la source), pour la puissance de 6,8 GW en centrales TGV déjà installées en Belgique et qui ont fonctionné 44% du temps en 2018. Cela est significatif tout en restant modéré, correspondant à 4-5% de notre empreinte carbone complète.

A présent, commentons les 3 scénarios de l’article de Renouvelle.

    1) Prolongation de toutes les centrales nucléaires au-delà de 2025. La CEN-EZ rejoint les auteurs de l’article de Renouvelle. Non seulement ce scénario est extrêmement dangereux en termes de risque, mais de plus il constituerait une catastrophe pour la transition énergétique puisque égale à un statu quo. En effet, le cout pour maintenir le parc nucléaire en activité revient à une captation des moyens qui devraient être affectés à la transition énergétique, doublé d’un risque sur les prix pour le renouvelable. Aujourd’hui on bride et arrête des installations renouvelables car les centrales nucléaires manquent de flexibilité et ne peuvent être arrêtées. L’absence de flexibilité du nucléaire sur la production est dans ce cas peut-être encore plus problématique que l’intermittence des énergies renouvelables.

    2) Arrêt des 7 réacteurs nucléaires en 2025 avec construction de 4 centrales électriques au gaz. Les centrales Turbine Gaz Vapeur (TGV) n’étant pas rentables, le mécanisme CRM existant prévoit de les subventionner par l’état, privant d’autant le financement de la transition énergétique et ralentissant celle-ci. De plus, le recours aux centrales TGV augmenterait les émissions de CO2 de la Belgique : « la Belgique connaîtrait un pic d'émissions de CO2 en 2026 avant de revenir à un niveau inférieur à l'actuel en 2030 », selon l’étude de EnergyVille mandaté par Engie [3]. Les chercheurs de l’étude estiment à 3,85 GW la puissance nécessaire en centrale TGV pour couvrir l’arrêt des 6 GW nucléaire en 2025. Cette puissance s’ajouterait au 6,8 GW de TGV déjà installé qui tourne ~45% du temps et qui émet 0,8 t CO2 eq par habitant. Si les 3,85 GW « nouveaux » devaient aussi fonctionner 45% du temps, l’augmentation de CO2 serait de 0,45 t CO2 eq par habitant en 2026 et se réduire à néant en 2030, c’est-à-dire ~2,5% de notre empreinte carbone actuelle.

Néanmoins, une capacité de 2 GW de centrale TGV fonctionnant 45% de l’année produit 8 TWh électrique. Or c’est exactement la capacité de biométhanisation belge évaluée par Valbiom pour gaz.be [4] (15,6 TWh thermique correspond à 8,3 TWh électrique si 15,6TWh*0,53 [5]). Produire ce biogaz est un développement conséquent, équivalent à 2500 petites centrales de biométhanisation comme celle d’Ochain Energie, cofinancée par EZ. Nous en concluons que deux centrales TGV pourraient être exclusivement alimentées en biogaz, tout en produisant de la chaleur exploitable. Dès lors, la CEN-EZ serait favorable à la construction de centrales TGV à deux conditions. La première serait la construction de centrales plus petites et plus nombreuses pour augmenter la résilience, distribuer la chaleur produite et limiter les concentrations. La seconde concerne la non-rentabilité de la biométhanisation sans subside : les subsides accordés aux petites centrales TGV doivent être liés à l’exploitation du potentiel de biométhanisation belge. Ce serait l’occasion de structurer cette filière avec l’entrée d’acteurs privés importants. De plus, comme pour l’éolien, l’octroi des subsides pourraient être conditionné à un investissement citoyen minimum.

    3) Le troisième scénario est la prolongation de deux réacteurs nucléaires sur les 7 en Belgique, pour 5 à 10 ans au-delà de 2025. Cette solution est accompagnée d’une flexibilisation de la consommation via des compteurs intelligents (idée brillante) et de rentabiliser le stockage d’énergie. Cependant, nous invitons à ne pas négliger le coût du prolongement de ces centrales qui viendrait, comme pour les centrales TGV au gaz fossile, concurrencer les investissements dans le renouvelable. De plus, la sortie du nucléaire est prévue depuis 2003 en Belgique et rien n’a été fait. Un prolongement risque d’entraîner une nouvelle période d’inertie et dans 5 ou 10 ans on se retrouvera au même point. La CEN-EZ pourrait être d’accord avec ce scénario à certaines conditions. Premièrement, une évaluation externe et indépendante de la sécurité des deux réacteurs sur les 7 qui seraient conservés (en termes de durée d’opération, probablement Doel 4 et Tihange 3, cfr tableau introductif). Or ces évaluations indépendantes le sont difficilement dans un secteur au lobby très puissant : les garanties devraient être élevées et hors Belgique (Europe ou Allemagne…). La seconde serait un prolongement de 3 ans de préférence, à grand maximum 5 ans, pour maintenir la pression en faveur de la Transition énergétique, limiter le cout de maintenance et de gestion des déchets supplémentaires, et limiter la prise de risque.

En conclusion, nous préconiserions un scénario entre le N°2 (4 centrales TGV fossile) et le N°3 (garder 2 réacteurs nucléaires, flexibiliser la consommation et rentabiliser le stockage), moyennant les adaptations suivantes :

    - Prolonger un seul réacteur nucléaire de 3 à maximum 5 ans, en garantissant une évaluation externe sérieusement indépendante de la sécurité. Sans quoi cela doit-être exclut.

    - Bâtir l’équivalent de 2 centrales TGV en petites centrales TGV réparties sur le pays, pour anticiper le potentiel de biométhanisation à développer activement, distribuer la chaleur ainsi produite à plus d’acteurs et augmenter la résilience de nos installations.

    - Subsidier les petites centrales TGV en les associant à des subsides à la biométhanisation et en imposant une participation citoyenne d’au moins 25% dans leur financement.

Ce scénario minimise encore plus le risque nucléaire et en même temps les émissions de gaz à effet de serre, qui pourrait s’élever temporairement entre 2026 à 2030 à +0.2 t CO2 eq par habitant avec l’utilisation d’un peu de gaz fossile (soyons réaliste), c’est-à-dire à seulement 1% de l’empreinte carbone belge de 16 à 20 t CO2 éq par habitant aujourd’hui.

Sources :

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_centrales_nucl%C3%A9aires_en_Belgique#R%C3%A9acteurs_en_service2

  2. https://www.plateforme-wallonne-giec.be/assets/documents/P_Wallonne-GIEC_Lettre9.pdf3

  3. https://www.lecho.be/entreprises/energie/d-ou-viendra-l-energie-belge-apres-2025/10250436.html4

  4. Gaz.be, “Quelle place pour le biométhane en Belgique ?,” 2019.

  5. Rendement d’une centrale gaz TGV 53%, https://corporate.engie.be/fr/energy/gaz, consulté le 2/10/2020


Xavier Gillon, Master en Physique, Docteur en Sciences

Amory Jacques, Master en Chimie et Gestion, Docteur en Sciences