Interview de Sébastien Doutreloup
Climatologue et géographe (ULiège)
« Le réchauffement climatique augmente de manière exponentielle. Il faut agir en conséquence ! »
Aujourd’hui,
nous accueillons Sébastien Doutreloup, climatologue et géographe à
l’Université de Liège, spécialiste des dynamiques climatiques en Belgique et en
Europe. Depuis de nombreuses années, il analyse l’évolution de nos climats, les
impacts concrets du réchauffement sur nos territoires et les défis que nos
sociétés doivent relever pour s’adapter et réduire leurs émissions.
Avec lui, nous vous
proposons de revenir sur les enjeux climatiques, au lendemain de la Conférence
de Bélem, et d’évoquer le rôle crucial des énergies renouvelables… ainsi que
celui des citoyens face au défi climatique.
Aujourd’hui, nous accueillons Sébastien Doutreloup, climatologue et géographe à l’Université de Liège, spécialiste des dynamiques climatiques en Belgique et en Europe. Depuis de nombreuses années, il analyse l’évolution de nos climats, les impacts concrets du réchauffement sur nos territoires et les défis que nos sociétés doivent relever pour s’adapter et réduire leurs émissions.
Avec lui, nous vous proposons de revenir sur les enjeux climatiques, au lendemain de la Conférence de Bélem, et d’évoquer le rôle crucial des énergies renouvelables… ainsi que celui des citoyens face au défi climatique.

Il répond aux questions de Philippe Bohyn et Nicolas Parent.
« Le réchauffement s’accroit de manière exponentielle »
Sébastien, ces dernières semaines ont été marquées par la Conférence Climatique de Bélem (COP30) mais surtout par les rapports actualisés entourant l’événement. Peux-tu nous synthétiser le contexte et les constats ?
La COP30 à Bélem n’a malheureusement pas débouché sur des avancées significatives. Le dernier grand accord climatique reste l’accord de Paris en 2015, qui prévoyait un engagement des pays signataires à limiter le réchauffement climatique en dessous de 2 °C, et si possible à 1,5 °C , par rapport à l’ère préindustrielle.
Ce qui est inquiétant, c’est que les rapports scientifiques sur lesquels l’accord de Paris se basait prévoyaient un réchauffement global de 1,5 °C d’ici 2042. Or, les dernières modélisations et relevés météorologiques montrent que nous atteindrons ce cap dès 2029. Nous avons donc perdu treize ans, car le réchauffement climatique s’accélère, notamment en raison de l’inaction politique pour limiter les émissions de gaz à effet de serre qui continuent de croître. Le réchauffement climatique n’augmente pas de manière linéaire, mais bien de manière exponentielle. Notre réponse globale doit obligatoirement aussi s’accélérer.
Avec quelles conséquences ?
Nous les subissons déjà depuis au moins 2015. En Belgique, nous avons désormais quasiment au moins une canicule par an, alors qu’on en observait une tous les quatre à sept ans auparavant. Les inondations de 2021 en sont un autre exemple. Le réchauffement va augmenter la fréquence et l’intensité de ce type d’événements météorologiques extrêmes
Y aura-t-il un impact également sur la production d’énergie renouvelable ?
Oui. Par exemple, pour les centrales hydroélectriques, même dans un scénario de fort réchauffement, la quantité annuelle de précipitations devrait rester stable. En revanche, elles seront concentrées en hiver et moins abondantes en été, mais avec des épisodes plus intenses. Il faudra donc réfléchir à des solutions comme le stockage hivernal ou la gestion des débits pour pallier le manque d’eau en été, tout en veillant à la recharge des nappes phréatiques, ce qui implique donc une gestion intelligente de la percolation de l’eau dans nos sols.
Pour le vent, les prévisions sont encore incertaines et les études se poursuivent, mais une légère baisse des vitesses de vent est possible. En revanche, pour le photovoltaïque, le rendement devrait augmenter.
« Les énergies renouvelables permettent de traverser plus sereinement les crises énergétiques »
On a parfois l’impression que l’enjeu climatique est passé au second plan dans l’actualité. Comment convaincre de l’urgence d’agir notamment au niveau politique ?
Un des arguments les plus forts est que, plus nous attendons, plus l’adaptation coûtera cher à la collectivité. Même à court terme, l’intérêt est évident. Un exemple : si l’Europe avait mieux soutenu le développement des énergies renouvelables et l’interconnexion de ses réseaux, elle aurait traversé plus sereinement la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et donc mieux protégé ses citoyens par rapport à l’envolée des prix de l’énergie.
Au niveau local, investir dès aujourd’hui dans l’adaptation climatique est également fondamental. Les villes, en particulier, doivent composer avec les îlots de chaleur urbains : une température de 35°C à la campagne peut facilement atteindre 45°C en ville à cause du béton et de l’absence de zone humide et végétale. Les villes de demain devront intégrer davantage de verdure, de plans d’eau, et de toitures végétalisées mais aussi revoir les politiques d’aménagement du territoire. Sans cela, les impacts du réchauffement pourraient se chiffrer en dizaines de millions d’euros par an dans les prochaines décennies pour des villes comme Liège, entre coûts énergétiques, recours accru à la climatisation, dégâts liés aux inondations, pression sur le système de santé etc. Agir contre le réchauffement climatique n’est donc pas seulement nécessaire, c’est également un véritable investissement pour l’avenir.
Un autre rappel de base est qu’un monde à +5°C, par exemple, ne serait plus vivable pour l’être humain. Il faut agir.
« Il faut accélérer l’action climatique plutôt que réclamer des pauses »
On entend parfois le discours qu’on en fait déjà assez en Belgique ou en Europe par rapport à d’autres nations sur la question climatique. Que répondre à cela ?
La Belgique reste un pays très émetteur de CO₂. Si l’on considère les émissions cumulées depuis l’ère industrielle ou ce que nous consommons mais qui est produit ailleurs, nous figurons parmi les dix plus grands pollueurs mondiaux, devant les États-Unis [1]. Nous devrions accélérer notre action climatique plutôt que réclamer des pauses comme certains.
En Belgique, et au-delà, un des leviers majeurs est, je pense, de sortir du mythe et de l’obsession de la croissance économique avec le PIB comme indicateur absolu. C’est cette vision qui pousse à produire et à consommer plus et qui accélère autant les inégalités que les conséquences négatives sur le climat.
« En matière d’énergie, l’urgence est de réduire la consommation »
Quelle est la place des énergies renouvelables dans tout cela ?
Décarboner la production
d’énergie est essentiel et les énergies renouvelables font partie de la
solution. Le problème, c’est que, historiquement, elles se sont ajoutées aux
énergies fossiles et aux autres sources et qu’elles ne les ont pas remplacées
dans la consommation globale. Pour être efficaces et avoir une véritable
transition énergétique, le développement des énergies renouvelables doit
s’accompagner d’une réduction de la consommation énergétique. C’est la plus
grande urgence.
Les citoyens ont-ils un rôle à jouer ?
Absolument. On ne peut pas se reposer uniquement sur les gouvernements à qui il manque généralement une vision intégrée de l’enjeu climatique et le courage nécessaire.
La société civile offre déjà des pistes concrètes. Les coopératives citoyennes, par exemple, adoptent un modèle économique qui privilégie l’objectif sociétal et des projets qui font sens sur la recherche de surprofits. C’est ce modèle qui m’a poussé à devenir coopérateur chez Emissions Zéro et dans d’autres projets: pour que mon argent ait un impact éthique et utile et qu’il soutienne une économie de subsistance plutôt que le capitalisme effréné.
Un conseil aux citoyens pour agir au quotidien ?
Il n’y a pas de solution
magique comme certains le font croire depuis des décennies en évoquant des
sources d’énergie ou des technologies. Il y a une multitude de solutions et de
possibilités d’actions. Je dirais juste qu’on peut, individuellement, s’interroger
en permanence sur nos choix de consommation : « Ai-je besoin d’acheter des
fraises en décembre ? D’où viennent-elles ? Dois-je nécessairement faire 8000
km en avion pour passer de bonnes vacances ? Prendre la voiture pour aller
chercher mon pain à 500m de mon domicile ? etc » Si chacun adopte ce regard
critique, la demande collective évoluera et nous pourrons être moteur de
changement.
Merci pour cet entretien particulièrement riche Sébastien !
Pour aller plus loin sur le sujet :
- Le portail de l’AWAC (Agence Wallonne de l’Air et du Climat). Ce portail vise à mettre à disposition des personnes, entreprises et institutions wallonnes une appréciation des risques climatiques auxquels la Wallonie est confrontée.
https://portailclimat-awac.be/
- « Ralentir ou périr » de Timothée Parrique. Dans cet essai d’économie, l’auteur vient déconstruire l’une des plus grandes mythologies contemporaines : la poursuite de la croissance. Son analyse : nous n’avons pas besoin de produire plus pour atténuer le changement climatique, éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités, créer de l’emploi, financer les services publics, ou améliorer notre qualité de vie. Au contraire, cette obsession moderne pour l’accumulation est un frein au progrès social et un accélérateur de l’effondrement écologique.
https://www.seuil.com/ouvrage/ralentir-ou-perir-timothee-parrique/9782021508093
- A suivre : le fil insta du « Green Office » de l’ULiège https://www.instagram.com/greenofficeuliege/ dont l’équipe a vulgarisé les rapports du Giec en stories : https://www.instagram.com/stories/highlights/17996806040127058/
Interview par Philippe Bohyn et Nicolas Parent
Photo @ Arnold Brotoka