A la découverte des coopératives à la pointe des énergies renouvelables (3)

Le village de Jühnde

Les coopératives allemandes spécialisées en énergies renouvelables

Série de 3 articles

A l’initiative de la coopérative Cera, une vingtaine de personnes ont pu visiter en mars 2016 quelques sites de production en Allemagne. Dans la série d’articles qui suivront, Joseph François partage avec nous ses échanges sur l’expérience acquise au sein du modèle coopératif allemand, leader européen en énergies renouvelables. La visite a commencé par une coopérative spécialisée en photovoltaïque à Sieburg. Celle-ci a été présentée dans la Lettre d’information 2016/3. La deuxième visite concernait une coopérative assurant le chauffage des maisons d’un village et leur approvisionnement en eau chaude sanitaire. La troisième visite concerne le premier village bioénergétique allemand.

Le premier village bioénergétique

Jühnde est un village de 750 habitants, dans le Land de Basse-Saxe, à quelques km de la ville de Göttingen. Nous y sommes accueillis par Gerd Paffenholz, 76 ans, qui, avant sa retraite, travailla dans une société spécialisée dans les instruments de mesure. Polyglotte, il est l’un des dirigeants de la coopérative, et il fait volontiers office de guide pour la coopérative. C’est avec lui qu’on prend contact pour une visite. Il se plaît à dire qu’il a déjà accueilli des gens du monde entier, même des Japonais et des Chinois. C’était la première fois qu’il recevait des Belges.

Jühnde est devenu une attraction touristique, dit-il, parce qu’il est le premier village d’Allemagne à devenir indépendant sur le plan énergétique. Cette évolution est due à la proximité de l’université de Göttingen, où des scientifiques étudient la question de l’énergie depuis des années. A la suite  de la conférence de Rio en 1992, les villageois ont parlé d’une possibilité d’aller de l’avant en énergie renouvelable.

En 2000, l’université de Göttingen a créé un centre interdisciplinaire pour le développement durable, celui-ci propose de créer des centrales électriques dans les villages afin de récupérer la chaleur générée par ces centrales. Gerd Paffenholz: “On n’a pas dit “oui” directement au projet. Le ménage moyen n’a pas la possibilité de devenir autosuffisant en énergie. Avant de se lancer dans des investissements, on a fondé une asbl en 2002 pour permettre la mise sur pied et le fonctionnement de groupes de travail. La conclusion, ce fut que le village ne voulait pas payer pour le réseau, car on récupère la chaleur, ce que les centrales électriques classiques ne font pas, puisqu’elles la rejettent dans l’eau ou dans l’air. Il fallait donc que le pouvoir public intervienne.
” Des calculs montrèrent qu’il fallait investir de l’ordre de 5 millions d’euros, ce qui est beaucoup pour une population d’environ 700 habitants. On a envisagé tout ce qu’on pouvait faire sans devoir confier trop de travail à l’extérieur. La solution retenue était l’utilisation de la biomasse (qui stocke l’énergie solaire), c’est une source de revenus pour les agriculteurs, et c’est neutre pour le CO2” dit Gerd Päffenholz.

Finalement, le plus simple, ce fut de demander aux agriculteurs s’ils voulaient produire des cultures énergétiques, de sorte que l’argent reste dans le village. Les fermes doivent être près du village pour diminuer les transports de matières. On dénombre 400 vaches dans le village, il y a peu de porcs. Il y a 1.300 ha cultivables. On pouvait dès lors dériver 300 ha pour la production de plantes énergétiques, principalement du maïs, du triticale et de l’herbe, de sorte à avoir une rotation normale. Le sol n’est pas des plus fertiles. On table sur un rendement de 10 tonnes de matière sèche (plante entière) par ha, soit 3.100 tonnes de matière sèche. A cela, s’ajoutent 9.000 m3 de lisiers bovin et porcin. Un contrat à long terme est prévu pour court-circuiter la variabilité des prix en agriculture. On s’est arrêté sur un prix de 80 euros/tonne de matière sèche.

Il y a également 800 ha de forêt. Les habitants les utilisent pour le chauffage classique en hiver. Les plaquettes (1.500 à 1.800 m3) viennent des arbres le long des routes, rendu à 0,18 euro/m3. Environ 20 à 30% de la chaleur proviennent des plaquettes. Il fallait aussi convaincre une bonne partie du village, soit 144 maisons (75% des maisons du village). Lorsqu’on a présenté le projet, 60% des ménages y étaient favorables. Une coopérative fut alors fondée. C’était en 2004. Il y a aussi des nouvelles maisons qui n’ont aucun intérêt immédiat à remplacer leurs chaudières. Toutefois, il a été prévu de les raccorder à l’avenir. A présent, 75% des ménages sont coopérateurs. La décision finale fut la création d’un site énergétique.

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Le financement (± 5,3 millions d’euros) fut assuré par 0,5 million d’euros en cash, (les parts des coopérateurs sont de 1.500 euros pour 3 parts + 1.000 euros de raccordement), par des subsides de 1,5 million d’euros venant du ministère de la consommation, de fonds venant de l’Europe (LEADER+), du ministère régional de l’Agriculture, des communautés de Göttingen et de Dransfeld, de la commune de Jühnde, et de 3,3 millions de prêts bancaires. La coopérative regroupe 195 personnes. Le conseil d’administration compte 8 personnes qui se réunissent une fois par mois. Le directoire comprend Gerd Paffenholz, 2 spécialistes de Göttingen (un financier et une représentante du ministère de l’Agriculture), un agriculteur et un physicien. Deux personnes (un gestionnaire du site, un administratif) travaillent à temps plein sur le site; il est installé non loin du village et est desservi par des chemins peu fréquentés. Très souvent, les employés de la coopérative sont aidés par les villageois.

Le site compte notamment une grande bascule, une fosse pour récupérer les lisiers, plusieurs  silos pour conserver les récoltes d’herbe, de triticale et de maïs, une biométhanisation et sa cogénération, le stockage des copeaux, sa chaudière et la possibilité de séchage de diverses matières en périodes creuses (plaquettes, bois, céréales…), des citernes tampon, des panneaux photovoltaïques sur pivot, une chaudière à mazout dont la capacité correspond à la somme des capacités des énergies renouvelables, ainsi que des hangars pour le rangement des tracteurs et machines. Le tout se trouve sur une dalle de béton. Les eaux de pluie et jus sont drainés vers un bassin à ciel ouvert. Arrivé à un certain niveau, son contenu repart vers la biométhanisation. Un réseau de chaleur de 5,5 km (grosse et petites conduites) relie le site aux maisons du village. Il est relié directement aux radiateurs des maisons et aux ballons d’eau chaude. Les ménages paient un fixe de 400 euros/an + 6 cents/kWh. Un compteur a été installé dans chaque maison pour calculer la consommation de chaleur. M. Paffenholz précise que la coopérative n’a jamais perdu d’argent.

Les investissements: la biométhanisation a coûté 2 millions d’euros; les chaudières, 700.000 euros; le réseau d’eau chaude, 1,5 million d’euros; les infrastructures, 1,1 million d’euros.   Sur le plan technique, le biodigesteur de 3.000 m3 est alimenté en moyenne par 25 tonnes de lisier et 34 tonnes d’ensilage par jour. Le temps de séjour des matières est de ± 50 jours. La cogénération est assurée par un moteur Deutz de 700  kW él/700 kW th.Les productions annuelles sont de 5.000 MWh électriques, 4.500 MWh thermiques pour le chauffage des maisons et 3.500 MWh thermiques pour l’eau chaude, en partie fournie par la chaudière à plaquettes. La température normale de l’eau chaude est de 80°C au départ du site.

Des projets sont en cours pour le futur, notamment l’e-mobility (des voitures électriques pour circuler dans un rayon assez court autour du village, pour faire les courses, par exemple) à disposition des coopérateurs. Ce serait une forme de car-sharing . Autre projet, l’installation de compteurs intelligents pour faire fonctionner les machines quand il y a trop d’électricité, et ainsi d’éviter de la vendre sur le réseau à prix ridicule. La production électrique est déjà supérieure aux besoins du village. La biométhanisation va être améliorée par des technologies innovantes (turbine ORC). L’emploi de micro-ondes a déjà augmenté le rendement d’environ 10%.

Joseph François